Fin de manif hier soir. A Paris, les syndicalistes ont sifflé comme les arbitres d’un match France-Italie et crié dans leurs mégaphones, entre autres, qu’ils voulaient travailler moins et gagner plus. Mais il est temps de rentrer. Certains rangent les banderoles, les sifflets et les mégaphones, d’autres ont décidé de jouer les prolongations. Gare du Nord, un petit cortège de la CGT s’avance sur le quai de leur Paris-Lille. Les habitués de la ligne, beaucoup de cadres et d’hommes d’affaires s’inquiètent : « Les cons, vont nous bloquer la voie. ». Suspens : ils avancent en effet au pas manif, le long du TGV. Tous les yeux sont braqués sur leurs banderoles rouges et jaunes. Jusqu’où vont-ils aller ? Les joyeux drilles sont aussi discrets qu’une école de Samba au carnaval de Rio. Et ça siffle et ça rie et ça chahute. Mais ça ne revendique plus. Enfin si, ça revendique encore, mais hors-sujet. Les 32 heures, la semaine de 4 jours, les augmentations de salaires et la retraite à 55 ans, c’est plus l’heure. A partir de 17 heures, les slogans sont plutôt du genre : « On va prendre le train, on va prendre le train, on va, on va, on va prendre le train… », « Il a pas son billet, il a pas son billet, il a pas, il a pas, il a pas son billet… » Et ça se marre et ça chahute et finalement, ça plie ses banderoles et ça monte dans le train. En seconde bien sûr. Soulagement des « Paris-Lille », sauf ceux qui se retrouvent dans la « voiture CGT ». Car là, l’ambiance n’est pas prête de tomber. Au mégaphone, ça donne ceci : « On est dans le train, on est dans le train, on est, on est, on est dans le train… » accompagné bien sûr au sifflet, par une samba cégétiste aussi entraînante que les impros de la police municipale sur les Champs-Elysées ! Et c’est bien pire que durant la manif. Car les bougres ont encaissé des décibels toute la journée. Si bien que maintenant ils ne s’entendent plus gueuler. Alors, ils gueulent plus fort. « Qu’est-ce qu’il a dit Roger ? » « Il a dit : On est dans le train, on est dans le train, on est, on est… » « Ah ouais, il a raison : on est dans le pétrin, on est dans le pétrin, on est, on est, on est dans le pétrin… »
Sur le quai, au moins, c’est beaucoup plus calme. Mais cinq minutes plus tard, nouvelle alerte. Voilà qu’arrive un deuxième cortège de manifestants. Mais rien à voir avec la CGT. Ceux-là font dans le discret. Têtes baissées, pas vif, banderoles pliées, mégaphones en bandoulière, les hommes avancent avec une conviction certaine vers l’avant du train. C’est évident, ils ne veulent pas se faire remarquer. Ca sent l’action radicale, l’opération commando. « Les salauds vont nous bloquer la voie » murmurent les « Paris-Lille ». C’est vrai qu’ils se rapprochent dangereusement du bout de la rame. Sur leurs casquettes je lis « Unsa ». Je ne me rappelle plus. Des durs ? Plus durs que la CGT ? Ils ont l’air déterminé. Dangereux même. Ils avancent encore et ne mouftent toujours pas. Les « Paris-Lille » vont craquer. Les hommes du commando Unsa longent un wagon de première. Ils s’arrêtent devant la porte. Ils redressent la tête, regardent à droite, à gauche… et paf, ils montent. Puis tranquillement, ils rangent leurs banderoles dans les compartiments à bagages, échangent encore quelques commentaires sur la journée. Une bonne journée. Et ils s’installent à leurs places numérotées. Pas de prise d’otage d’un capitaliste ? Pas de graffitis sur les fauteuils ? Même pas une petite distribution de tracts ? Rien. L’Unsa voyage en première. Moralité, si je devais choisir un syndicat, ce serait l’Unsa. Moins de boulot, plus d’argent et surtout, après une bonne manif, retour en première !